Danubiana Meulensteen Art Museum

Une harmonie entre art et nature

J’ai découvert le Danubiana Meulensteen Art Museum, un musée d’art moderne et contemporain.

Cet espace muséal qui à mes yeux symbolise une harmonie artistique, géographique, et architecturale. En effet, ce musée se situe sur une presqu’île à la frontière entre trois pays : l’Autriche, la Hongrie et la Slovaquie.

Ce fait peut paraître anecdotique, mais pour moi il contribue à générer une atmosphère spécifique dans le lieu d’exposition. Immergeant ses visiteurs au delà d’un territoire clairement défini, en harmonie avec la nature de par son architecture ; le lieu entraîne également son public dans une conscience plus globale des oeuvres qui l’entoure, dans cet espace atypique.

 

Danubiana Meulensteen Art Museum

Danubiana Meulensteen Art Museum

 

Cette expérience a été déterminante dans ma façon de percevoir les musées et son espace muséal , et j’ai choisi de partager avec vous un tableau qui m’a profondément ébloui et fait réfléchir sur le dialogue, le pouvoir de l’art et le sens de la médiation culturelle.

Danubiana Meulensteen Art Museum
DIALÓG, Ján Hlavatý (2009)

 

Cette oeuvre de Ján Hlavatý symbolise ce que devrait apporter un lieu culturel, et un musée spécifiquement.
Il porte en lui un pouvoir de provoquer le dialogue et la réflexion – un dialogue entre les individus, un dialogue vers l’art dans une énergie et une atmosphère bienveillante.

 

 

Carte Blanche – Tino Sehgal

Je me suis rendue en décembre au Palais de Tokyo – afin de voir l’exposition de Tino Sehgal – laissant une carte blanche à l’artiste, pour investir le plus grand centre d’art contemporain européen.

Cet artiste nous y propose une expérience de l’ordre de l’immatériel, en résonance avec les pratiques sociales et culturelles actuelles.

Cette liberté qui lui a été accordée révèle une double volonté – celle d’un lieu, au travers de sa politique culturelle, d’un artiste  –  de changer notre rapport à l’art et à la culture :  à la fois en nous invitant à devenir acteur, à créer et vivre l’oeuvre ; mais aussi en nous invitant à modifier notre comportement en tant que public.
Cette exposition constitue une expérience, et transmet une esthétique de partage, orchestrée par Tino Sehgal et son équipe.

J’ai particulièrement apprécié deux choses de cette exposition : la première au travers du bouleversement des codes de l’espace muséal et de notre comportement dans ce lieu entre désorientation et orientation. La seconde,au travers du “vécu” et expérience que nous propose l’artiste ; en impliquant non pas le public, mais notre individualité, pour découvrir et créer cette oeuvre au travers d’interactions sociales.

 

Une remise en question de l’espace muséal

Tino Sehgal, artiste d’origine anglaise vivant à Berlin, chorégraphe de formation est devenu un artiste contemporain dans une proposition d’esthétique relationnelle.

Tel un chorégraphe, Tino Sehgal orchestre les intervenants-et/ou interprètes-  et joue avec l’espace. Le corps,l’humain et la relation sont les matériaux de cette expérience.

crédit photo – Palais de Tokyo

Cette exposition bouleverse les codes de l’espace muséal, loin du culte des objets, le Palais de Tokyo est dépourvu d’oeuvre matérielle – nous voici dans un vaste espace vidé de tout ce qui constitue notre idée, notre imaginaire du musée.

Tino Sehgal insère dans cet espace des oeuvres relevant de cette même conception relationnelle d’artistes contemporains comme Felix Gonzalez-Torres,  Philippe Parreno, Daniel Buren, Pierre Huyghe, James Coleman ainsi que Isabel Lewis.

Une fois franchi le rideau de perles de Felix Gonzalez-Torres, nous rentrons dans l’aventure – si nous nous laissons entraîner dans cette quête de l’oeuvre – entre désorientation et orientation – pour nous amener à vivre une expérience, l’expérience orchestrée par Tino Sehgal. En effet, nous sommes tout d’abord désorientés dans ce grand espace, tous à l’affût- en attente jusqu’à ce qu’une personne, au hasard d’une rencontre, vienne vous interroger “ Qu’est ce que l’énigme? ”  

Nous sommes alors guidés, invités à descendre et voir des “performances” chorégraphiques, chantées – on vient vous susurrer des phrases dans l’oreille en français, en anglais  – un chant à l’unisson retentit “ We are human” . Ces performers/intervenants/participants qui sont en réalité entre le visible et l’invisible – nous ne pouvons pas différencier ceux nommés et choisis par l’artiste Tino Sehgal et les participants du public qui s’intègrent dans les intermèdes artistiques chorégraphiés et chantés  – plus de frontières entre les protagonistes et le public – nous sommes tous ensemble.

Cette forme que nous propose Tino Sehgal fait écho à ce que décrypte Nicolas Bourriaud, spécialiste d’art contemporain :  

“ Réinvestir l’idée du pluriel, pour la culture contemporaine issue de la modernité, cela signifie inventer des modes d’être-ensemble, des formes d’interactions qui dépassent la fatalité des familles, des ghettos de la techno-convivialité et des institutions collectives qui nous sont proposées. On ne peut prolonger avec profit la modernité qu’en dépassant les luttes qu’elles nous a léguées : dans nos sociétés post-industrielles , ce n’est plus l’émancipation des individus qui s’avère la plus urgente, mais celle de la communication inter-humaine, l’émancipation de la dimension relationnelle de l’existence”

 

Mais ce premier espace dans les profondeurs du Palais de Tokyo n’était qu’un avant goût du travail de Tino Sehgal, après une déambulation dans cet espace animé et réanimé au grès des “performances”, nous remontons ensuite pour découvrir “ The Progress”.

 

Une co-construction de l’oeuvre

The Progress, est une expérience, un enfant vient à notre rencontre, se présente et nous prend par la main en nous interrogeant : Qu’est ce que le progrès?

Une discussion s’engage – et le mystère plane, cet enfant à un script écrit par Tino Sehgal, où est-ce son individualité qui s’adresse à nous ?

Nous parlons, tout en la suivant dans l’espace jusqu’à ce qu’une autre rencontre se produise, et le processus reprend forme : les rencontres “guidées”, les questions persistent et le dialogue.

Une forme sur le mode interrogatif, qui nous implique dans cette aventure – les intervenants rebondissent.

Nous évoluons dans l’espace comme nous évoluons dans le temps, les intervenants portants aussi la marque du temps dans ce cheminement.  

Tino Sehgal nous propose donc de co-construire l’oeuvre au travers des rencontres et des dialogues – une oeuvre qui semble unique.

Bruno Nassim Aboudrar et François Mairesse considèrent que l’artiste Tino Sehgal place à la fois le public comme co-constructeur de l’oeuvre, mais aussi  médiateur :

“ L’artiste, peut faire en sorte que le public soit le médiateur et l’oeuvre elle-même (ou bien le médiateur ou l’oeuvre). C’est par exemple ce qui advient lors de performances de Tino Sehgal. L’artiste n’y est pas  physiquement présent mais recrute des personnes issues du “public”, sans qualités particulières, auxquelles il transmet des consignes qui sont suffisamment précises pour qu’un sorte de sculpture orale se développe dans l’espace et surtout dans le temp de l’exposition, et suffisamment souples pour que ce développement soit imprévisibles. L’oeuvre tient alors dans ce discours sur l’oeuvre librement exécuté par le public – qui devient son propre médiateur.”

Or, je pense que le travail de Tino Sehgal oeuvre à interroger le public à la fois sur son individualité, sa pluralité et ses interrelations afin de constituer l’expérience – mais non pas à constituer une réelle médiation. En effet, la médiation culturelle doit permettre de s’écarter, de se distancier de l’oeuvre afin de “décortiquer “ l’oeuvre pour avoir une nouvelle vision par un prisme différent, même si le public vit l’oeuvre, elle n’est pas pour autant “médiatée”.

Personnellement, j’ai ressenti une forme de frustration – en sortant de cette expérience guidée et basée sur l’échange – nous sommes comme “abandonnés”.

Cette coupure détermine peut être la fin de l’oeuvre dans un espace, et par conséquent définit l’espace muséal comme un espace qui fait oeuvre. Mais un espace de médiation aurait été intéressant pour accompagner notre expérience et peut être  percer cette énigme que nous pose Tino Sehgal.

Le chien, la nuit et le couteau.

L’inquiétante étrangeté

 

Le chien, la nuit et le couteau est le second volet d’un diptyque théâtral de l’auteur contemporain allemand Marius Von Mayenburg.

La création 2016 de la compagnie Munstrum, mise en scène par Louis Arene, réinvente cette pièce qui s’apparente à un comte obscur, où le spectateur découvre dans un univers fantastique et onirique, les aventures de M. entre cauchemar et réalité.

Tout au long de la pièce, nous nous retrouvons confrontés aux peurs et aux angoisses de M. Nous pouvons nous interroger sur le mystère du nom du personnage M. qui peut faire référence à Marius Von Mayenburg; et par conséquent à ses propres peurs, ses interrogations sur l’humanité et la place de l’animal en chacun d’entre nous.

Dans une ambiance intimiste au Théâtre de L’Apostrophe à Cergy, nous découvrons une scène bi-frontal, avec au centre la scène figurant le chemin, le parcours d’une vie, de ses rencontres et de ses émois.

Grâce à ce dispositif, le spectateur se confronte à l’altérité des personnages mais aussi du public grâce à cet effet miroir.

Dès les premiers instants de la pièce, le spectateur découvre un homme au sol, le personnage M. qui se dévoile en se relevant lentement d’une manière très animal.

Nous sommes directement intrigués mais surtout saisis par l’intensité du personnage. Nous perdons nos repères et notre réalité, en nous laissant emporter dans ce nouveau monde tout comme M.

crédit photo- Munstrum théâtre

 

“En écho à Camus et à l’Homme Absurde du Mythe de Sisyphe, la pièce nous raconte le parcours d’un homme qui découvre l’absurdité, la vanité et la violence du monde mais qui pourtant développe un désir de vivre effréné qui le mène jusqu’à la découverte du libre-arbitre et à la révolte.

M apprend à vivre avec la peur, en l’assumant comme étant une condition inhérente de l’existence.”                                                               

 Louis Arene, le metteur en scène »

 

Cette pièce est jouée par trois talentueux comédiens aux multiples facettes et personnages.En effet, Lionel Lingelser interprète l’homme au chien, le policier, le patient, le médecin, et le chien. Sophie Botte est la soeur cadette, la soeur aînée, le criminel, l’avocat, et l’infirmière. Enfin, François Praud joue M. Les comédiens portent un même masque moderne, qui déshumanisent leurs personnages.

Ce choix de mise en scène renforce l’interrogation sur la place de l’Homme dans ce monde si obscur. De plus, cela participe à une esthétique très forte, tout comme le choix de la scénographie avec le dispositif bi-frontal, mais aussi l’environnement sonore ainsi que les lumières qui permettent de créer une dimension sensorielle forte.

L’impact de cette esthétique de l’évocation est très puissante sur le spectateur, à la fois sur ses ressentis, son implication émotionnelle et son positionnement qui dépasse le simple rôle de spectateur.

L’angoisse et l’oppression de M., nous spectateur nous les vivons aussi, pris au piège comme dans son parcours cherchant la vérité et les traces d’humanités.

 

Cette pièce nous renvoie à la destinée d’un homme M. mais aussi à notre propre destinée, à nos interrogations sur l’humanité, nos peurs, nos quêtes intimes ainsi que nos pulsions animales…

Sommes nous des prédateurs, des proies? Vivre ou survivre? Comment s’émanciper?

Ce spectacle nous chamboule et ne peut laisser insensible, il soulève nos pulsions les plus primaires et laisse une grande place à notre propre interprétation.